La Maladie du Coeur (9)

Publié le par Raziel

Le spécialiste s’était rué sur Hurlit pour le soutenir. Mais à son regard et son visage exprimant une grande surprise, il n’avait visiblement pas imaginé que le choc serait si important. Il aida ensuite Hurlit à poser son dos sur le mur et s’écarta pour l’observer. Le jeune homme avait le regard vide comme s’il n’était plus qu’une coquille vide, il ne bougeait d’ailleurs plus mais tenait au moins debout.
Calvin grimaça fortement et le saisit en passant son bras autour de son propre cou et commença à l’aider à se déplacer. Il sortit donc du couloir et le hall se présenta à eux. Personne ne les remarqua réellement et le peu de gens qui les virent ne s’en préoccupèrent guère. Un médecin qui aidait un patient à se déplacer n’était pas une chose rare dans un hôpital après tout. Ils
parvinrent donc à la salle de repos sans encombre et Calvin le déposa doucement dans le fauteuil.
Hurlit avait toujours le regard vide et son visage tremblait quelque peu. Calvin s’approcha alors pour s’assurer qu’il n’avait pas rêvé et, soudain, la joue droite de Hurlit eut un soubresaut. Calvin se redressa alors et quitta la salle à la hâte.


Hurlit n’entendait plus rien et ne voyait plus rien, combien même il avait les yeux ouverts, il était complètement déconnecté de ce qui l’entourait à l’image de tout les malades dont il avait la charge avec le spécialiste. Tout ce qu’il avait à l’esprit était cette énorme brèche qui s’était ouverte tout à coup dans ses espoirs, ses rêves et tout ce qu’il avait pu envisager, les ravageant comme un cyclone couplé à un séisme ravageraient une petite bourgade non préparée et située en plein épicentre. Ses souvenirs refirent alors surface de manière chaotique et submergèrent son esprit.


-Alors ? Alors ?! Tu nous as trouvés sur la liste ?! s’exclama la jeune femme se tenant en retrait du jeune homme qui cherchait parmi la foule son nom sur un panneau.
-J’ai du mal à trouver, y a trop de noms en L, c’est a-bu-sé… et surtout trop de têtes. Grommela le jeune homme en tordant son cou pour s’adresser à celle qui l’avait questionné avant de reposer ses yeux sur la longue liste.
-Ah j’ai ! s’écria-t-il soudain. Logga Célestine tu es…
Il tourna la tête vers elle et fit la moue. Le visage de la jeune femme se décomposa alors et devint blême.
-Admise ! finit alors le jeune homme.
Célestine sauta alors en criant à tue-tête qu’elle était admise alors que Hurlit s’extirpait tant bien que mal de la foule agglutinée près des panneaux.
-Pouah ! fit-il en se plaçant à côté de celle qui passait pour une éberluée à danser sur place sans musique. C’est pire que les examens en fait, la pire épreuve. Il épousseta alors sa veste et son jean et posa ses yeux sur sa soeur. Enfin pour toi ce fut un jeu d’enfant. Il sourit alors en la regardant se calmer petit à petit.
-Et toi, Hurlit ? Admis je suis sûre ! demanda-t-elle, sautillant toujours sur place, euphorique.
Le jeune homme hocha de la tête en signe d’acquiescement.
-Quelle appréciation ? Questionna-t-elle en penchant la tête vers lui alors que ses yeux s’étrécissaient.
-Très bien. Répondit Hurlit en détournant le regard.
Célestine explosa alors de rire.
-Parfois je suis vraiment jalouse que tu ais pris les 75% d’intelligence quand on était ensemble dans le ventre à m’man.
-99% tu veux dire non ? rectifia Hurlit en tirant la langue.
Célestine regarda alors ailleurs et fit mine de l’ignorer avant de revenir à la charge.
-En attendant qui a le plus de charme entre nous deux ?
-Comme si c’était important !
-Bien sûr que ça l’est ! Je finirai au moins au niveau 8 avant de mourir !
-Ca ira les chevilles ?
Hurlit regarda alors les jambes de Célestine. Cette dernière s’empressa de remonter sa jupe.
-Il semblerait, toujours aussi magnifiques.
Elle émit alors un rire cristallin en plaçant sa main devant sa bouche.
-Ton rire de mégère est absolument horrible, tu sais. Affirma Hurlit en secouant doucement la tête.
-Encore quelque chose que tu as égoïstement pris à plus de 80% !
Il fit un geste évasif de la main et prit la direction de la sortie du bâtiment.
-Allons fêter ça au bar avec les amis avant que m’man nous réclame pour une leçon de vie et d’avenir.
Célestine grommela et lui emboita le pas.
-Quelle chiante celle-ci. Vivement que j’intègre l’école de commerce et que je ne la vois plus.
-M’en parle pas.
Les deux jumeaux quittèrent le bâtiment à la hâte et rejoignirent un groupe de personnes qui semblaient les attendre à l’extérieur.


Les souvenirs enchainèrent alors sur une autre scène floue. Les deux jumeaux étaient devant une femme et semblaient se disputer de vive voix pendant qu’un homme était assis dans un fauteuil, impassible. La jeune femme tapa alors du pied et sembla hurler, la femme en face fit la même chose et la gifla mais la fille stoppa net la main avant qu’elle n’atteigne son visage et disparut. C’est donc le jeune homme qui se vit confier la marque de la main sur sa joue. Contrairement à sa soeur, il ne broncha pas et ne bougea pas pendant que la femme vociférait. Elle leva soudain le bras et pointa les escaliers. Le jeune homme s’éclipsa alors.


Hurlit se tenait désormais devant un panneau plus petit mais semblable à celui du premier souvenir. Il y avait une foule bien moins conséquente et, surtout, sa soeur n’était pas là. Il venait de voir ses résultats et entreprit donc de quitter les lieux, des voix parvinrent alors à ses oreilles.
-Encore major et avec 4 points de plus sur sa moyenne que le deuxième. Fit un garçon.
-Une vraie machine à apprendre, c’en est presque effrayant. Rétorqua un second jeune homme.
-Pas étonnant qu’il soit tout le temps seul. Déclara une jeune femme.
-J’ai entendu des profs disant qu’il visait la spécialité « Maladie du Coeur ». Reprit le second.
-Avec de telles notes, il peut se permettre ! Enchaina la fille.
-C’est pas comme si on pouvait la soigner cette foutue maladie, ça sert à rien comme spécialité à part se la couler douce. Rétorqua le premier.
-Vu comme ça… Approuva le second jeune homme.
-Ca nous laisse le champ libre pour des spécialités plus intéressantes. S’exclama la jeune femme.
-Il ne sera pas une nuisance, t’as raison. A nous la meilleure spécialité. Confirma le second garçon.
Le groupe se mit alors à pousser un cri de victoire et Hurlit se retira sans protester.
Ils avaient raison après tout. Depuis des années de recherche, rien n’avait jamais permis quoique ce soit au sujet de cette maladie. Pas même quelque chose permettant d’enrayer la contamination, dont on ne savait pas grand-chose si ce n’était les résultats du docteur Ikho. Les rumeurs allaient donc bon train au sujet de ceux qui choisissaient cette section. Un avenir sûr à chasser des chimères.


Le noir total reprit alors sa place dans l’esprit de Hurlit. Il avait cru en ses chimères et avait réellement pensé pouvoir trouver quelque chose de conséquent. Il avait cru pouvoir sauver Julie. Mais tout était fini, Calixte était mort et les espoirs de sauver Julie avec. Etait-ce ainsi avec chaque patient, encore et encore ? Pourrait-il supporter de voir tout au long de sa vie les malades mourir entre ses mains sans qu’il puisse faire quoique ce soit ? A quoi s’était-il attendu en pénétrant ici après tout, c’est ce qu’on lui avait appris à l’université. C’est d’ailleurs ce que lui avait dit Calvin quand il avait pénétré dans le couloir pour la première fois. Cet endroit n’est qu’un couloir d'attente où les malades sont isolés et meurent à petit feu. Une profonde tristesse envahit alors Hurlit et des larmes commencèrent à couler sur ses joues sans qu’il ne s’en rende compte.
Il sentit alors une douce chaleur l’enlacer, il pensa alors à sa soeur mais le parfum qu’il put sentir lui fit comprendre qui était là. Il revint alors à la réalité et se mit à sangloter en enlaçant celle qui était en train de tenter de le réconforter, Marlène.
Ils restèrent un moment l’un contre l’autre, les larmes de Hurlit coulant sans qu’il ne puisse les arrêter. C’était la blouse de Marlène qui se chargeait de sécher les joues du jeune homme quand il bougeait la tête entre deux moments d’absence. Il ne revoyait plus son passé mais il n’était pas non plus totalement dans le présent.
Alors que Marlène tentait de le réconforter et de le ramener par la même occasion complètement dans la réalité en le serrant contre elle et caressant parfois son dos, il finit par prendre la parole.
-Je pensais vraiment qu’il serait en vie… qu’on allait pouvoir le faire transférer et qu’il sauverait Julie et lui-même aussi.
Il marqua une pause, serrant le poing avec force alors que Marlène faisait une légère grimace en accentuant son étreinte.
-Pourquoi a-t-il fallu qu’il meurt si vite ? Nous aurions pu…
Sa voix s’éteignit alors et Marlène sentit ses lèvres remuer sur son épaule en silence. Elle entrouvrit la bouche mais se ravisa, ne sachant pas quoi dire. Elle ferma alors les yeux, inspira profondément et s’écarta avant de finalement se décider à tenter quelque chose. Elle ne pouvait pas le laisser ainsi ou le dorloter encore et encore.
-Julie est ta première patiente, tu as pu élaborer toute une théorie autour de la maladie grâce à elle mais ce n’est pas parce qu’elle n’a sûrement plus d’espoir d’être guérie que tu dois l’abandonner et tout les autres avec elle. Si ce n’est pas elle que tu peux sauver, elle pourrait bien te permettre de sauver tout les autres !
Hurlit croisa alors son regard et Marlène se leva, le laissant se reprendre de lui-même.
-Tu n’as pas le droit d’abandonner, pour Julie. Ajouta-t-elle avec un léger sourire.
Le jeune homme baissa alors la tête et contempla ses mains, stoïque, en réfléchissant à ce que Marlène venait tout juste de lui dire.
-Je dois retourner en cuisine pour aider les autres, elle se dirigea donc vers la sortie et se tourna vers lui une fois sur le seuil de la porte, ne baisse pas les bras ! Prouve au monde entier que Ikho avait tout faux.
Elle s’éclipsa alors et Hurlit resta seul à fixer ses doigts en repensant à ce que Marlène venait de lui dire.
Continuer à chercher un moyen de sauver les malades pour Julie, mais combien d’autres malades verrait-il périr ou être condamnés avant de peut-être trouver quelque chose ? Allait-il pouvoir supporter une telle chose ? A l’université on ne lui avait pas appris à mettre ses émotions de côté, uniquement de la théorie concernant la maladie, de la symptomatologie et surtout le comportement et la prise en charge lors d’exercices qui semblaient surréalistes. Aucun des étudiants n’avait jamais pu travailler avec un quelconque malade comme le faisait ceux en médecine, c’était tout simplement interdit. Les risques de contamination ne pouvaient être ignorés. Finalement la réalité dépassait de loin les études prodiguées à l’université. Il n’était absolument pas prêt à endurer tout ceci.
Ses mains se mirent alors à trembler et il mit plusieurs secondes à s’en rendre compte. Il saisit alors sa main gauche de la droite pour faire cesser les spasmes et soupira bruyamment.
-Pour Julie…
Il se leva alors et quitta la pièce.


Il avait décidé d’aller voir Julie et se tenait donc désormais devant sa chambre, l’observant par la petite vitre. Comme souvent elle était assise, dos au mur, et fixait un point invisible loin devant elle, impassible. Il se remémora alors la première fois qu’il l’avait vue.
Il était ici depuis un moment à attendre l’arrivée d’un nouveau malade. En y repensant il s’était senti presque heureux quand un infirmier lui avait annoncé qu’une personne touchée par la Maladie du Coeur était en route pour l’hôpital. Il grimaça alors à ce souvenir qu’il trouvait malsain. Son esprit repassa alors chacun des moments qu’il avait passé avec Julie ou qui lui était lié tel un film.
Complètement absorbé par ses souvenirs, il ne se rendit même pas compte que Calvin était à côté de lui, le chariot de nourriture devant lui, et accompagné d’une femme en blouse d’infirmière.
-Tu devrais rentrer chez toi Hurlit. Fit alors Calvin.
Hurlit eut un léger sursaut de surprise et quitta brusquement ses rêveries. Il posa ses yeux sur le spécialiste, le chariot et finalement l’infirmière qu’il gratifia d’un bonjour maladroit accompagné d’un léger signe de la tête.
-Demain nous sommes en repos, cela te donne donc deux jours pour… te remettre de tout ceci. Enchaina Calvin en fixant Hurlit dans les yeux.
Le jeune homme allait répliquer mais Calvin enchaina.
-Madame Cinnot est avec moi, comme tu peux le constater, le spécialiste posa son regard sur la femme qui l’aidait à distribuer les repas pour appuyer ses paroles, tu n’as donc pas à t’inquiéter de quoique ce soit, d’accord ?
Les yeux du spécialiste revinrent sur Hurlit et semblaient chercher à le forcer à accepter. Le jeune homme acquiesça finalement de la tête.
-Entendu. Dit-il simplement avant de s’écarter de la porte menant à la chambre de Julie. Puis-je juste lui servir son repas ? Questionna-t-il.
Le spécialiste hésita un instant, fit la moue puis accepta la requête du jeune homme. Hurlit s’empara alors du plateau et Calvin lui ouvrit la porte pour le laisser faire. Le jeune homme resta alerte tout du long et déposa donc le plateau à sa place habituelle. Il fixa toutefois Julie plus longuement que la normale lorsqu’il fut accroupi non loin d’elle. Il finit évidemment par se relever et quitta la pièce, toujours sans quitter la jeune femme des yeux.
Calvin referma la porte derrière lui et se tourna ensuite vers Hurlit.
-Merci. Fit le jeune homme à l’attention de Calvin avec un léger sourire sur le visage.
-Repose-toi bien, Hurlit.
Le jeune homme fit un léger mouvement de la tête en signe d’accord.
-A dans deux jours donc, repose-toi bien aussi.
-Sois en sûr ! lança le spécialiste qui semblait plus que ravi de ce jour de repos.
-Bonne journée à vous, Madame Cinnot. Dit alors Hurlit en gratifiant derechef la femme d’un hochement de la tête.
Hurlit s’éloigna alors et, avant de quitter le couloir, fit un signe de main à Calvin pour le saluer.
Il retourna donc à la salle de repos pour se changer.


Il pénétra dans la pièce et soupira légèrement en constatant qu’elle était vide. Il avait espéré y trouver Marlène mais elle était évidemment encore en cuisine. Il ouvrit donc son casier et entreprit se changer, au final aujourd’hui il n’aurait rien fait de plus que de servir Julie. Il replaça sa blouse avec amertume dans la penderie et grommela. Aujourd’hui était l’un des pires jours de sa vie au final. Il soupira en passant une main sur son front, Calvin avait raison, il était préférable qu’il rentre chez lui ou il allait broyer du noir toute la journée à l’hôpital et son attention s’en verrait réduite.
Il secoua alors la tête pour remettre ses idées en place, essayer tout du moins, et allait fermer son casier quand il constata que le journal n’était plus là. Son sang ne fit qu’un tour et une vague de panique le submergea jusqu’à ce qu’il s’aperçoive qu’il y avait une note à la place du journal. Il s’en empara et la lut donc.
-Pour ne pas que tu l’emportes chez toi. Calvin. Disait la note.
Malgré lui un rictus se dessina sur son visage et Hurlit reposa la note à sa place d’origine. S’il avait vu le journal avant de fermer le casier, il l’aurait sans aucun doute emporté chez lui. Calvin semblait tenir à ce qu’il se repose complètement et mette son travail de côté pour se remettre de la mort de Calixte.
Le jeune homme ferma alors son casier, enfila sa veste et quitta l’hôpital pour s’offrir une journée chez lui à s’occuper de son appartement en évacuant sa journée via la musique et des
films.

Publié dans La Maladie du Coeur

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S
Bel écrit ! T'as su montrer ce qu'il ressentait, c'est fou mais je m'y croyais presque. Sniiiff pourquoi ya pas eu + avec Marléne ? xD Elle le réconforte mais ya aussi d'autres moyens qu'un simple<br /> calin .. okok je sors -->[]. J'aime beaucoup cette histoire. J'ai hâte de découvrir la suite. Continues comme ça couz :)
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